Santé numérique en France : état des lieux – Entretien croisé #1 avec David De Amorim et Régis Sénégou (Docaposte)

Santé numérique en France : état des lieux – Entretien croisé #1 avec David De Amorim et Régis Sénégou (Docaposte)

Docaposte, filiale numérique du Groupe La Poste, est un partenaire privilégié de la transformation des organisations dans le secteur de la santé. Tiers de confiance numérique et premier hébergeur de données de santé en France avec plus de 45 millions de dossiers patients actifs, Docaposte propose une offre qui se décline sur 3 segments : l’hébergement HDS (Hébergement de Données de Santé),des services e-santé et la diffusion multicanal (courrier, email, sms) d’informations à destination des professionnels de santé, patients, assurés ou utilisateurs.

A quelques semaines de la deuxième édition du Symposium e-santé « Les 3 Sphères », en partenariat avec La Poste et le Point, nous vous proposons une interview croisée en deux parties. La première s’attache à dresser un état des lieux de la santé numérique en France. Entretien avec David De Amorim, Directeur Adjoint e-santé en charge de l’innovation et de la co-construction de Docaposte et Régis Sénégou, Directeur du marché e-santé chez Docaposte.

Quels sont d’après vous les points forts de la santé numérique en France ?

David De Amorim : Historiquement, nous avons un tissu numérique et des compétences dans le domaine du digital et des réseaux qui sont très forts en France. Nous sommes un pays “tech” et riche d’ingénieurs. Nous avons également une filière d’excellence dans le domaine de la santé avec des grands centres de recherche comme l’Institut Pasteur, des hôpitaux de référence mondiale tels que l’hôpital Necker ou l’hôpital Européen Georges-Pompidou. Cette filière d’excellence se retrouve aussi dans le domaine de la formation avec l’Université de Paris (Paris Descartes et Paris-Diderot) par exemple, et nous disposons d’un savoir-faire fondamental dans la recherche avec l’Inserm. Nous détenons ainsi tous les ingrédients pour créer une filière forte du numérique en santé en France.

Régis Sénégou : Un autre atout de la France est la quantité de start-ups qui se créent dans le domaine scientifique : on assiste à une réelle effervescence depuis quelques années. La singularité de la France est aussi d’avoir une réglementation très forte dans le domaine de la protection des patients et dans la protection des données personnelles de santé, au sens large. Ce cadre éthique est primordial. L’enjeu du numérique en France est donc de pouvoir conserver cette singularité et d’en faire un élément différenciant au niveau européen, voire mondial. A court terme, le principal défi est de trouver le point d’équilibre. En effet, dans un contexte de crise, on a vu que la tension pouvait être très forte, au point de vouloir gagner en vitesse et en agilité. La tentation de remettre en question les réglementations telles qu’elles existent aujourd’hui a effleuré l’esprit de certains acteurs de la santé. Pour autant, ce cadre règlementaire doit impérativement être conservé pour préserver la confiance des utilisateurs de nos clients dans les solutions que nous proposons.

A contrario, quels sont les points faibles ?

Régis Sénégou : Malheureusement, la filière du numérique en santé manque de débouchés de marchés et de nouveaux modèles économiques. Depuis 1945, le marché de la santé en France passe systématiquement par une prise en charge via la sécurité sociale ou via une mutuelle. Les Français n’ont donc pas l’habitude d’engager des dépenses pour leur santé. La principale faiblesse de ce marché, c’est donc sa capacité à rendre solvables des innovations à forte valeur. D’ailleurs, beaucoup d’innovateurs dans le domaine de la e-santé bifurquent et font un passage à l’étranger, pour revenir ensuite en France. Parfois, certains commencent tout de suite par l’étranger ou intègrent cette « étape » dans leur feuille de route. Heureusement, des acteurs comme le fonds d’investissement de la BPI France visent à palier en partie ces problématiques. En effet, le fonds « Patients Autonome », fonds d’investissement dédié à la e-santé et centré sur le patient, permet de débloquer des financements dès la phase d’amorçage d’un projet.

David de Amorim : Il n’en reste pas moins le problème de pérennisation des nouvelles solutions et services, en dépit du cadre réglementaire. Car, si en France, on compte des dizaines de milliers de ces innovations, seulement quelques-unes sont validées médicalement et scientifiquement, avec la caution de la sécurité sociale. C’est là tout le paradoxe. L’article 51 de la LFSS (loi sur le financement de la sécurité sociale) a néanmoins été un bon levier et a permis de faire évoluer les choses notamment en permettant de libérer les innovations et expérimentations en santé et dans le parcours de soins. Cependant, il mériterait probablement d’être élargi afin de gagner en solvabilité.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis de l’Etat dans le domaine de la e-santé ?

David De Amorim : Nous espérons beaucoup de l’Espace Numérique de Santé (ENS) pour insuffler une nouvelle dynamique et permettre de créer des écosystèmes innovants. Il serait intéressant d’obtenir une visibilité plus forte au sein de l’écosystème institutionnel de la santé, notamment dans ses capacités de prise en charge.
Nous attendons de l’Etat qu’il capitalise sur les forces évoquées précédemment : l’excellence digitale et l’excellence dans le domaine de la santé. A terme, il faudrait débloquer des moyens économiques pour rendre solvables ce savoir-faire et cette créativité émergente. Aujourd’hui, les solutions et les initiatives sont nombreuses. Cependant, hormis quelques exceptions telles que la plateforme Doctolib, les start-ups dans ce domaine sont difficile à pérenniser, le plus souvent faute d’un modèle économique fiable et/ou d’une approche volontariste au niveau national et alors même que nous sommes dans un secteur particulièrement porteur. Il y a donc urgence à identifier les bonnes techniques, à les soutenir avec les bons modèles économiques, et débloquer des budgets et des moyens pour soutenir le développement de cette filière et la pérenniser.

Régis Sénégou : Il est important de faire émerger durablement cette transformation d’usages sans pour autant renier nos forces qui peuvent parfois apparaître comme des contraintes. Replacées dans une perspective d’ensemble, les contraintes règlementaires sont en fait de réels atouts. Ainsi, nos solutions une fois développées en France pourront s’internationaliser. Nous avons démarré avec un niveau d’attente élevé et c’est un gage de qualité. Par analogie avec la qualité allemande des voitures haut de gamme, nous détenons la qualité française des données de santé.
Nous sommes dans une phase d’accélération, c’est pourquoi ces enjeux à long terme doivent se transformer en enjeux à court terme. On l’a vu avec la prise en charge de la téléconsultation, le développement de solutions d’auto-évaluation comme Maladiecoronavirus.fr, ou des solutions de télé-suivi à distance telle que Covidom.

Selon vous, quels seraient les dérives ou écueils possibles de la e-santé ?

David De Amorim : La dérive principale est de laisser les données circuler de manière large sans en vérifier l’utilisation ou sans permettre au patient de les contrôler.
Une autre dérive possible serait de mettre en place des outils sans avoir de caution scientifique. Il est impératif pour nous d’impliquer des acteurs médicaux et scientifiques dans le développement d’applications de e-santé afin de les valider et de les rendre pérennes.
C’est pourquoi Docaposte a constitué un comité scientifique numérique et santé, Les 3 Sphères, une instance de réflexion en matière de e-santé. L’axe de réflexion global est le suivant : penser et repenser le système de santé grâce au digital afin d’encadrer, développer et mettre à l’épreuve les avancées numériques e-santé, en jonglant entre l’ambition et le pragmatisme. Nous sommes d’ailleurs convaincus qu’imaginer l’avenir, c’est surtout le rendre possible.

Régis Sénégou : Avec ce comité scientifique, Docaposte invite des professeurs, des médecins, des économistes et des philosophes, tous « visionnaires – faiseurs », à prendre part aux évolutions numériques de santé et faire avancer le médical et la science via une réflexion universelle et éthique. Docaposte se positionne ainsi comme partenaire de santé publique, tout en fédérant les patients, les aidants, les acteurs de santé et les acteurs industriels.

Quelles sont/devraient être les orientations stratégiques phares de la politique de santé numérique en France, selon vous ? Comment voyez-vous la collaboration entre la société civile, les pouvoirs publics, les professionnels et les entreprises en matière de santé numérique ?

Régis Sénégou : Au-delà des infrastructures, il faut développer les services, les stimuler et donc amplifier la réussite du DMP de la CNAM avec une dimension « usage et service » encore plus forte et ambitieuse. La dynamique est lancée avec la loi « Ma Santé 2022 » et nous sommes dans un contexte particulièrement opportun pour accélérer la trajectoire. La crise de la Covid-19 l’a confirmé, l’ENS (Espace Numérique de Santé) aurait été fort utile pour appuyer la coordination de parcours et projeter des innovations de services à large échelle pour tous les citoyens français.

David De Amorim : Si l’on veut faire émerger une filière pérenne forte en Europe et dans le monde, créatrice d’emplois en lien avec un savoir-faire spécifique, basé sur l’excellence scientifique française, il est nécessaire de mettre en place un modèle économique pour les start-ups et les innovations industrielles en e-santé. Il faudrait également instaurer une prise en charge plus large, au-delà de celle rendue possible par l’article 51, pour certains dispositifs médicaux. Cela permettrait alors de créer des dispositifs médicaux très innovants, de faire de l’export et de créer des emplois en France.

Rejoindre la discussion