Plateformes de données de santé : état des lieux – Entretien croisé #2 avec David De Amorim et Régis Sénégou (Docaposte)

Plateformes de données de santé : état des lieux – Entretien croisé #2 avec David De Amorim et Régis Sénégou (Docaposte)

Filiale numérique du Groupe La Poste, Docaposte est le premier hébergeur de données de santé en France avec plus de 45 millions de dossiers patients actifs. C’est aussi un opérateur majeur de services en santé et de solutions de télé-suivi patients, un fournisseur de connecteurs au Dossier Médical Partagé (DMP) et de plateformes numériques en santé.
Tiers de confiance, Docaposte a récemment obtenu la certification HDS (Hébergeur de Données de Santé à caractère personnel) délivrée par l’Agence du Numérique en Santé (ANSSI).

A quelques jours de l’édition 2020 du Symposium e-santé « Les 3 Sphères » organisé par Docaposte et La Poste en partenariat avec Le Point, voici un 2nd entretien croisé de David De Amorim, Directeur Adjoint e-santé en charge de l’innovation et de la co-construction de Docaposte et de Régis Sénégou, Directeur du marché e-santé chez Docaposte, cette fois consacré aux plateformes de données de santé.

Dans quelle mesure les plateformes de données de santé peuvent-elles contribuer au développement de la santé numérique en France ?

Régis Sénégou : Ces plateformes permettent de massifier les modèles économiques et les modèles techniques. On l’a vu avec le site Maladiecoronavirus.fr, le fait de s’appuyer sur les plateformes de données industrielles éprouvées dans les data centers de Docaposte, a permis de combiner l’agilité, les contraintes réglementaires et l’éthique avec une certaine créativité pour embarquer tous les actifs dans des démarches agiles et « scalables ». Grâce à cela, près de dix millions d’utilisateurs se sont connectés à cette plateforme, en faisant ainsi le site de e-santé le plus consulté en France.

Quels freins restent-ils à lever pour permettre le développement des plateformes de données de santé ?

David De Amorim : Les solutions existent, mais il est nécessaire de leur donner un cadre éthique, scientifique et économique, afin de réunir les conditions d’usage et d’utilisation favorables. La confiance est la condition sine qua non au développement et à la réussite des plateformes de données de santé.

Quelles sont les opportunités ouvertes par l’exploitation des données de santé ?

David De Amorim : A titre d’exemple, la plateforme Maladiecoronavirus.fr a permis d’alimenter la recherche pour valider, entre autres, le fait que l’anosmie était bien un symptôme de la Covid-19. Au-delà de la recherche épidémiologique, cette plateforme a permis de réaliser un suivi de l’épidémie en temps réel sur tout le territoire. Grâce à elle, nous avons également pu anticiper de quelques semaines la prise en charge des malades de la Covid-19 dans les hôpitaux à la lecture de leurs symptômes déclaratifs. Vu le succès de cette initiative, on peut affirmer que les technologies de Data Science et l’Intelligence Artificielle sont mûres. Néanmoins, il devient impératif de trouver les compétences pour assurer la traduction des données et faire le lien entre médecine et technologie. En effet, les mondes de la santé, de la tech’ et de la Data Science n’ont pas l’habitude de communiquer ensemble, ils ne possèdent pas le même langage, mais lorsqu’ils se comprennent, on peut s’attendre à des résultats spectaculaires. C’est exactement ce qui s’est produit lors du déploiement de la plateforme MaladieCoronavirus.fr, et cela a donné lieu à des publications de renommée internationale.*

Régis Sénégou : Autre exemple : la plateforme du CNOP (Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens), développée par Docaposte pour l’Ordre des Pharmaciens et le Ministère de la Santé, permet de gérer l’historique des ordonnances entre les pharmacies. Grâce aux données agrégées et anonymisées, elle permet d’anticiper la rupture des approvisionnements de médicaments et participe aux alertes épidémiologiques.

Selon vous, comment devraient être alimentées les plateformes de données de santé : automatiquement, obligatoirement, sur la base du volontariat des acteurs ?

David De Amorim : Les grandes plateformes nationales comme le Health Data Hub (HDH), lancé en 2019, devraient être alimentées par le développement des usages car ce sont les usages qui légitiment la valeur qu’elles apportent.
Aux U.S.A, pourtant soumis à un cadre réglementaire, on a constaté que l’obligation ne permettait pas une alimentation réussie des plateformes en données. L’incitation est plus efficace que la contrainte. Le véritable levier est de mettre à contribution le patient et de lui donner le pouvoir : il est ainsi plus enclin à alimenter une plateforme avec ses propres données. Afin de participer à cela, la médecine devrait, elle aussi, être davantage centrée sur le patient et moins sur la maladie, d’une certaine manière.

Savez-vous comment les données de santé sont hébergées selon les plateformes ?

Régis Sénégou : Cela dépend. Par exemple, elles sont hébergées de manière anonymisée dans le cadre du Health Data Hub, projet d’Etat de base nationale de données de santé, né suite au rapport Villani sur l’intelligence artificielle au profit de la recherche médicale. La principale destination de ces données est donc la recherche. Cette plateforme vise à faciliter l’exploitation des données et est conçue pour devenir un guichet unique d’accès à l’ensemble des données de santé.
En revanche, les données sont nominatives dans le cadre du Dossier Médical Partagé puisqu’il s’agit, en somme, d’un carnet de santé numérique qui permet à chaque citoyen de partager, de manière sécurisée, ses informations de santé avec les professionnels de santé de son choix. Ces données sont hébergées dans des environnements hautement sécurisés, certifiés HDS.

David de Amorim : La vision de Docaposte est qu’il faut placer les patients au centre des préoccupations et créer des conditions de confiance importantes pour qu’ils utilisent massivement ces plateformes. Pour cela, il est nécessaire de fournir un cadre éthique et souverain à ces plateformes. C’est un facteur primordial et rassurant pour les utilisateurs : c’est cela qui favorisera l’appropriation et le déploiement des solutions numériques en santé et des plateformes.

Estimez-vous que les données de santé soient suffisamment sécurisées ?

David De Amorim : Techniquement oui. Cela dit, il faut créer des conditions d’usage et de sécurité suffisantes.
C’est ce que Docaposte a fait avec icanopée en développant l’usage de la carte CPS (Carte de Professionnel de Santé) AIR dématérialisée, simple d’usage et performante, incluant un système d’identification. C’est ce niveau de fluidité d’usage qui doit être développé, tout en respectant des niveaux de sécurité élevés. Le sujet de l’identifiant du patient doit encore progresser : l’Identité Nationale de Santé (INS) devrait permettre de faire avancer et amplifier la sécurisation.

David De Amorim : Par ailleurs, Docaposte propose L’Identité Numérique La Poste pour répondre à ces enjeux de simplification et de sécurisation. Avec cette solution, il est possible de s’assurer de l’identité d’un utilisateur d’un site ou une application de e-santé qui requiert la saisie d’un numéro INS (Identifiant national de santé) et éviter ainsi l’usurpation d’identité. L’Identité Numérique La Poste facilite aussi la création de compte, simplifie l’accès au compte et sécurise des opérations nécessitant la vérification probante de l’identité de l’utilisateur. Il s’agit de la première solution d’identification et d’authentification numérique attestée conforme en France au niveau de garantie substantiel du règlement eIDAS par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

Quels pourraient être les dangers liés à la centralisation et au partage de données de santé ?

Régis Sénégou : Sujet souvent galvaudé, les enjeux de souveraineté deviennent aujourd’hui fondamentaux, notamment dans le contexte de la crise sanitaire que l’on traverse.
Avec Gaia-X, plateforme souveraine lancée et annoncée par les ministres de l’Economie français et allemand en juin 2020 et dont Docaposte est membre fondateur, nous avons pu faire le constat qu’il y a un véritable enjeu à se doter de plateformes numériques cloud souveraines au niveau européen. Cela n’est pas un enjeu à long terme mais à court terme : nous devons développer des solutions numériques dans des espaces de confiance avec un niveau d’agilité semblable à celui des plateformes américaines ou asiatiques, mais sans renier notre singularité et tout en nous protégeant. En effet, la donnée de santé est devenue un enjeu de souveraineté et de compétition mondiale. Il ne peut plus y avoir de place à la naïveté sur ce sujet. Heureusement, la puissance de nos actifs industriels, en France et en Europe, nous permet de mettre en œuvre des solutions de confiance qui répondent à ces exigences de souveraineté.

* JMIR Publications : https://www.jmir.org/2020/6/e19855/

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