
Le Pr Fabrice Denis est oncologue-radiothérapeute et pionnier des applications e-santé de pré-diagnostic et de suivi médical. Il nous parle aujourd’hui de maladiecoronavirus.fr, site grand public lancé mi-mars, dès le début de la crise sanitaire, par l’Alliance Digitale contre le Covid-19. Il en est le fondateur et le coordinateur médical.
Qu’est-ce que le site maladiecoronavirus.fr ?
Fabrice Denis : maladiecoronavirus.fr est un site d’information et d’orientation gratuit qui permet à toute personne pensant avoir été exposée à la Covid-19 ou manifestant des symptômes de bénéficier gratuitement de préconisations d’orientation adaptées à son état de santé en répondant à un questionnaire élaboré par un comité de professionnels de la santé.
Lancé le 18 mars, maladiecoronavirus.fr est le premier site d’information et d’orientation grand public et gratuit référencé par le ministère des Solidarités et de la Santé.
Comment fonctionne ce site ?
Fabrice Denis : Le site maladiecoronavirus.fr propose un questionnaire d’auto-évaluationgratuit, anonyme et ne nécessitant pas d’inscription qui permet d’orienter au mieux la personne en fonction de ses réponses.
L’utilisateur est invité à répondre à une vingtaine de questions, où il est interrogé sur sessymptômes (fièvre, toux, fatigue, perte d’odorat…) mais également sur ses antécédents et tout facteur de risque susceptible d’influer sur la gravité de la maladie (diabète, hypertension, surpoids, prise d’un traitement immunosuppresseur…).
A l’issue du questionnaire, le site délivre des préconisations élaborées de manière neutre au moyen d’un algorithme validé par un comité scientifique. Il ne s’agit pas d’un diagnostic mais d’une évaluation de l’état de santé afin d’orienter le patient vers une prise en charge adaptée à son état actuel. En fonction de ses réponses, l’utilisateur obtient l’un des conseils suivants : appeler le 15, demander un avis à son médecin généraliste (ou réaliser une téléconsultation) ou encore rester attentif à tout nouveau symptôme et, le cas échéant, remplir à nouveau le questionnaire pour avoir un nouvel avis.
Depuis début mai, 2 nouveaux types de questionnaires sont disponibles sur le site : un test de déconfinement permettant d’obtenir des conseils personnalisés et un test d’auto-surveillance pour les malades à faible risque. Ces tests fonctionnent selon le même principe, proposant chacun un questionnaire d’une dizaine de questions à l’issue duquel l’utilisateur obtient une préconisation.
Comment et par qui l’algorithme du questionnaire d’auto-évaluation a-t-il été conçu ?
Fabrice Denis : Le questionnaire et les préconisations ont été élaborés par le groupe de travail COVIDTELE qui a réuni des spécialistes de l’AP-HP, des CHRU de Rennes, Lille et Angers et de l’Institut Pasteur avec la contribution de médecins spécialistes de médecine libérale, de médecine d’urgence, infectiologues, des ingénieurs en e-santé et des plateformes de téléconsultation et télésurveillance sous ma coordination.
Il a été validé par le ministère des Solidarités et de la Santé. Il est disponible en open source et, de ce fait, est accessible à tous. Plusieurs pays dont le Chili, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Maroc, le Mexique, la Roumanie, le Rwanda, la Belgique ou encore le Sénégal ont manifesté leur intérêt pour celui-ci.
Il est mis à jour régulièrement en fonction des dernières connaissances scientifiques sur le virus.
Qu’est-ce qui a motivé le lancement de ce site ?
Fabrice Denis : Le site a été lancé dans un triple objectif :
- Le premier objectif de ce questionnaire en ligne était de faire baisser rapidement le nombre d’appels inutiles au SAMU et donc de réduire la pression sur le 15, régulièrement saturé depuis le début de l’épidémie, particulièrement les premiers jours du confinement en mars, en grande partie par des appels qui ne concernaient pas des urgences. Le test en ligne permet de « trier » en amont les patients et d’orienter ceux qui ont des symptômes bénins vers leur médecin traitant ou vers une téléconsultation plutôt qu’un appel au 15, qui doit être réservé aux vraies urgences.
- Le deuxième objectif était de délivrer une information fiable et de répondre aux interrogations des Français inquiets. En répondant au questionnaire, les personnes qui ressentent des symptômes légers ou modérés peuvent être rassurés et orientés vers une prise en charge adaptée à leur état.
- Le troisième objectif était de faire progresser la recherche sur la Covid-19 grâce à la collecte des données non-nominatives à des fins d’étude épidémiologique permettant de mieux analyser l’évolution de la maladie et de ses symptômes, dans le but d’améliorer la connaissance du coronavirus (incidence des différents symptômes, formes graves, suivi épidémique dans le temps et l’espace…). Les données anonymisées sont stockées dans le plus strict respect de la sécurité et de la confidentialité par Docaposte, filiale numérique du Groupe La Poste.
Qui est à l’origine de cette initiative ?
Fabrice Denis : Le site maladiecoronavirus.fr a été développé sous mon impulsion par la start-up Kelindi et par Docaposte, avec le soutien d’acteurs privés rassemblés dans l’Alliance Digitale contre le Covid-19.
Cette Alliance rassemble plus de 20 acteurs de la santé, de la technologie et de l’assurance.
Elle a la volonté d’offrir des outils visant à préserver autant que possible le système de santé pendant l’épidémie de Covid-19 et s’est placée en renfort des initiatives coordonnées par des instituts spécialisés tels que l’Institut Pasteur, l’INSERM, ou le CNRS.
Comment le lancement du site a-t-il été accueilli par le grand public ? Quel a été son impact au moment du pic épidémique ?
Fabrice Denis : Depuis son lancement, maladiecoronavirus.fr a enregistré 9,3 millions de connexions, avec plus de 6 millions de questionnaires complétés. En moyenne 16% des utilisateurs ont été renvoyés vers le 15.
Pendant le pic épidémique, le site a confirmé son utilité dans la réduction de la pression sur le service d’appel d’urgence. En effet, son lancement a été corrélé à une forte augmentation de la pertinence des appels au SAMU, mesurée par une diminution conséquente du nombre d’appels par hospitalisation : 120 appels pour une hospitalisation avant le lancement du site, 14 après son lancement dans 6 régulations SAMU dont celle de l’APHP. Une étude clinique a permis d’évaluer la décharge du 15 suite au lancement du site et un article est en cours de publication.
Sur le volet épidémiologique, maladiecoronavirus.fr a pleinement rempli son rôle. Grâce au nombre considérable de questionnaires remplis, cette base est l’une des plus importantes au niveau mondial. Le site a permis de mettre en évidence l’incidence de certains symptômes, comme la perte du goût et de l’odorat, que les médecins avaient du mal à quantifier au début de l’épidémie. La surveillance par les symptômes et notamment l’anosmie a permis d’avoir un suivi d’épidémie très puissant et surtout plus précoce que le suivi des hospitalisations car les troubles de l’odorat surviennent environ 7 jours avant les aggravations nécessitant une hospitalisation. Les réponses enregistrées dans les questionnaires ont ainsi permis de suivre en temps réel l’évolution de l’épidémie en France sur un plan géographique et au fil du temps.
Afin de permettre un suivi de l’épidémie et de la résurgence d’éventuels clusters, les données anonymisées issues de l’application maladiecoronavirus.fr sont analysées à partir d’outils de « data science » de nouvelle génération fournis par Adobis, partenaire de l’Alliance et de Docaposte, et transmises à l’Institut Pasteur et au ministère de la Santé.
L’engouement pour le site maladiecoronavirus.fr de la part du grand public a confirmé le besoin d’information des Français et l’utilité d’avoir à disposition un test « numérique » pour s’orienter lorsque l’on ressent des symptômes. C’était particulièrement important au moment du pic épidémique, à l’heure où la plupart des patients ne pouvaient pas réaliser un test virologique permettant de confirmer leur contamination. Maladiecoronavirus.fr a aussi permis de délivrer des informations fiables et à jour des dernières connaissances médicales au grand public. Enfin, le site permet de mettre en évidence en temps réel la réapparition de clusters.
Comment maladiecoronavirus.fr a-t-il accompagné la phase de déconfinement et quelle va être son utilité dans les mois à venir ?
Fabrice Denis : Tout d’abord, le site a permis d’observer dès fin avril une extinction progressive de l’épidémie en France, ce qui présageait une absence de seconde vague, confortant le calendrier de déconfinement mis en place par les autorités. Ensuite, le test de déconfinement proposé sur le site à partir du 11 mai dans le cadre d’un travail collaboratif avec le site gouvernemental https://mesconseilscovid.sante.gouv.fr a permis aux utilisateurs de recevoir des conseils personnalisés et d’évaluer l’opportunité de se déconfiner ou non en même temps que tout le monde, en fonction de leur état de santé et de certains paramètres comme leur symptômes actuels ou des 14 derniers jours.
Dans les mois à venir maladiecoronavirus.fr va être un outil incontournable qui pourra permettre de détecter tout changement de tendance et ainsi de repérer l’éventuel démarrage d’une seconde vague sur la France.