
Le Dr. Ludovic Moy est gynécologue-obstétricien spécialisé dans l’Assistance Médicale à la Procréation à Rennes. Membre du comité scientifique Les 3 Sphères, il a reçu un trophée de télémédecine de la part du ministère des Solidarités et de la Santé en 2019.
Comment l’épidémie de Covid a impacté votre pratique au quotidien et changé la manière dont les patients sont pris en charge ?
Dr. Ludovic Moy : Elle a d’abord impacté l’activité par un arrêt brutal des actes chirurgicaux : les actes de chirurgie ont été annulés ou reportés sauf ceux qui étaient extrêmement urgents, de même pour les ponctions ovariennes. Or, ces actes représentent 30% de mon temps de travail. En parallèle, il y a eu un arrêt quasi immédiat des consultations présentielles. Cet aspect a été pesant et négatif. La contrepartie positive, c’est que beaucoup de consultations ont pu se transformer en téléconsultations : ce que je souhaitais depuis un an et demi s’est concrétisé, la téléconsultation est devenue quasi-indispensable.
Quelle a été la place du numérique pendant cette période ? Comment le numérique vous a aidé à la prise en charge de vos patientes et comment les patientes se sont-elles adaptées ?
Dr. Ludovic Moy : J’ai probablement une vision assez biaisée du sujet car mes patientes ont essentiellement entre trente et quarante ans : elles ont une affinité au numérique plus importante que les patients plus âgés. Elles sont toutes équipées d’un smartphone voire d’une tablette. Il y a donc eu peu de problèmes liés à l’appétence ou à la technologie : la plupart étaient équipées et tout à fait d’accord pour réaliser une téléconsultation. Certaines patientes préfèrent néanmoins une consultation présentielle, même si elles disposent d’outils numériques. Au niveau technologique, le seul frein a été la couverture territoriale en termes de réseau internet, qui est parfois faible dans les zones rurales où habitent certaines de mes patientes. Aujourd’hui encore, j’ai dû terminer une téléconsultation en échange téléphonique simple car le réseau était trop faible… C’est fréquent. C’est la double peine pour ces patientes : elles habitent loin et donc ne peuvent pas forcément venir physiquement, et, en plus, elles ont un réseau qui ne permet pas de mener à bien une téléconsultation.
Vous dites que certaines patientes préfèrent une consultation présentielle : est-ce qu’il y a un manque de confiance par rapport aux outils numériques comme la téléconsultation ?
Dr. Ludovic Moy : Je n’ai pas constaté de réticence vis-à-vis des outils numériques, je pense qu’on a suffisamment mis en avant la sécurité des communications. C’est plutôt nous, les médecins, qui sommes parfois obligés de leur dire qu’on ne peut pas utiliser telle ou telle technologie parce qu’elle n’est pas assez sécurisée. Au contraire, il y a même une trop grande confiance vis-à-vis des outils numériques : les patients ne mesurent parfois pas le risque qu’il y a à ouvrir certaines données médicales ou des transmissions d’informations sur des canaux non sécurisés. Ils sont moins sensibilisés que nous et nous devons leur expliquer les risques.
Quels ont été vos outils numériques principaux pendant l’épidémie ? Quelle a été votre expérience avec ces outils, votre ressenti ?
Dr. Ludovic Moy : J’ai principalement utilisé la téléconsultation : sur certaines journées cela représentait 90% de mes consultations. Même si c’est un outil formidable, en termes de ressenti, j’ai trouvé cela globalement plus fatigant que le présentiel. On perd plus de temps car on doit se connecter, certaines patientes ne sont pas à l’aise avec les outils… Même si j’en faisais déjà avant, j’avais tout de même un manque d’expérience. Et puis, cela demande plus de concentration. Il faut faire un peu plus d’efforts pour entrer en contact avec les patientes que lorsqu’on est en présentiel. Et on passe un peu plus de temps à rédiger : compte-rendu, ordonnance… Au final, une demi-journée de téléconsultation prend davantage d’énergie qu’une journée de présentiel.
Aujourd’hui, les choses reviennent peu à peu à la normale. Allez-vous quand même continuer à faire davantage de téléconsultations qu’avant l’épidémie ?
Dr. Ludovic Moy : Oui ! Aujourd’hui (le 3 juin 2020), sur environ vingt-cinq rendez-vous, j’ai eu huit téléconsultations, donc environ un tiers de mes consultations. Alors qu’avant l’épidémie, c’était marginal. Mais là encore, c’est parce que je suis dans une spécialité qui s’y prête pour deux raisons : 1) je n’ai pas toujours besoin de voir mes patientes en présentiel ; 2) parce qu’elles sont jeunes. Pour moi, un tiers c’est un bon ratio, même si dans l’idéal je préférerais cloisonner, c’est-à-dire faire de vraies demi-journées de téléconsultations et des journées de présentiel à côté. Mais ça c’est une organisation à mettre en place. En tout cas, le ratio d’un tiers pourrait devenir la norme pour moi dans un avenir proche. Mes confrères de PMA ont adopté le même mode de fonctionnement. Les anesthésistes aussi s’y mettent beaucoup : ils ont peu d’examen clinique chez des patients jeunes sans problème particulier, il s’agit surtout d’interrogatoires. Ils peuvent alors faire un premier screening et sélectionnent les patients qu’ils vont devoir voir en physique avant une intervention.
Quels sont les cas où vous ne pouvez pas faire de téléconsultation dans votre spécialité ? Ou les cas où elle est moins adaptée qu’une consultation en présentiel ?
Dr. Ludovic Moy : Il n’est pas possible de faire une téléconsultation dans les quelques cas où le patient n’a pas le matériel, pas de connexion suffisante, ou qu’il n’arrive pas à utiliser l’outil. Mais surtout, lorsqu’on a besoin d’un examen clinique ou échographique, le présentiel est indispensable. La téléconsultation ne peut pas remplacer toutes les consultations physiques, c’est un complément, un outil de plus dans l’arsenal du médecin. L’un de ses intérêts principaux, c’est de diminuer le temps de transport pour les patientes lorsque la consultation en présentiel n’est pas nécessaire. La téléconsultation est une évolution, mais on va continuer à faire de la médecine telle qu’on la faisait. La téléconsultation n’est pas un outil de soin. C’est un outil de prise en charge et il faut l’utiliser comme tel. Ce n’est pas comme la télésurveillance qui peut avoir un vrai intérêt pour l’amélioration de la prise en charge, pour les diabétiques, par exemple : ça peut vraiment améliorer leur survie. D’une manière générale, une téléconsultation, ça « ne sauve pas beaucoup de vies » mais cela facilite la prise en charge. Le but, c’est de diminuer les consultations présentielles quand c’est possible, mais on ne peut pas ne plus en faire du tout. Et puis ça fait du bien de voir les gens en physique aussi !
Qu’est-ce qui vous manque quand vous faites des téléconsultations ? Et est-ce que dans certains cas, à l’inverse, la téléconsultation apporte quelque chose en plus ?
Dr. Ludovic Moy : Lorsqu’on a les gens physiquement en face de soi, je trouve qu’il est souvent plus aisé de parler d’autre chose que de l’objet de la consultation. Cela peut paraître futile, mais je trouve que c’est quelque chose qui est parfois nécessaire, surtout lorsque l’on a affaire à des problèmes d’infertilité et que les gens ne sont pas forcément à l’aise. Parler d’autre chose permet de détendre un peu l’atmosphère, et c’est plus facile en présentiel qu’en téléconsultation. En revanche, il y a deux avantages dans la consultation à distance : le premier c’est qu’on « rentre » chez les gens : on est dans une cuisine, un séjour, parfois une chambre. Cela nous permet d’appréhender un peu plus la vie du couple, l’ambiance. Et puis, certains patients sont plus à l’aise en consultant depuis chez eux qu’en venant au cabinet, surtout ceux qui viennent de loin, qui doivent faire de la route et venir dans une ville qu’ils ne connaissent pas : ils sont parfois plus détendus chez eux, même si l’outil technologique peut mettre une petite barrière. Autre point positif, d’un point de vue médical : comme on ne peut pas examiner les gens, je trouve que l’on approfondit un peu plus l’interrogatoire, et c’est un élément extrêmement important. Depuis qu’on a des outils comme l’imagerie, l’interrogatoire est souvent un peu laissé pour compte. Quand on ne peut pas faire d’examen clinique et qu’on n’a pas d’échographie sous la main, on développe davantage l’interrogatoire et c’est au bénéfice de la prise en charge.
Comment voyez-vous la place du numérique pour la prise en charge des patientes dans votre spécialité à l’avenir ? Quels types d’outils aimeriez-vous voir se développer ?
Dr. Ludovic Moy : L’outil de téléconsultation n’est que le début de la solution. Ce qui nous manque, ce sont de vrais outils, simples, permettant une transmission facile des informations entre patients, médecins et pharmaciens, des outils de transmission de documents et de stockage sécurisé. Nous n’en sommes qu’au tout début, il faut continuer à avancer et développer rapidement des outils efficaces et sécurisés. On a bien avancé avec la téléconsultation : on avait déjà l’outil, mais on a bien avancé sur l’usage. Maintenant, il faut qu’on développe le reste. Cet épisode est arrivé pile au bon moment pour la téléconsultation car la technologie existait et la législation était en place. Mais il va falloir encore du temps pour développer les outils qui vont nous permettre d’avancer encore plus dans une digitalisation de la prise en charge, qu’elle soit en présentiel ou à distance. Les outils qui nous manquent ne sont pas forcément liés à la distanciation : nous sommes simplement archaïques avec nos dossiers papier qui ne sont pas sécurisés et tous ces documents qu’on remet de la main à la main.
Le digital est une obligation. Cela se fait dans tous les métiers aujourd’hui, il n’y a pas de raison qu’en médecine on n’avance pas davantage dans le numérique. Mais en tant que médecins nous ne pouvons pas tout faire, nous ne pouvons être que demandeurs. Il faut aussi donner des preuves de sécurité : encore beaucoup de confrères se méfient, à juste titre, de la technologie pour le risque de sécurité et de confidentialité des données. Ces preuves de sécurité sont nécessaires. C’est un travail de fond. Du côté des établissements de santé, il y a le côté sécurité mais aussi le côté financier : ils vont chercher un retour sur investissement, donc si on leur propose des outils numériques il faut qu’ils y voient un intérêt, à la fois dans la sécurité et dans la diminution de leur coûts, de leur charge administrative. Au final, les patients sont plus prêts que nous. Il faut continuer à avancer !